La majuscule et le point.

D'un crépuscule à l'autre, chaque jour est un départ.

Eloignés comme les points cardinaux ils ne se croisent que pour se tourner le dos. Elle entame la danse magistrale des ronds de sens qu'emmêlent les déliés. Il met un point d'honneur à accentuer ses effets parfaits. Tantôt l'une. Tantôt l'autre. Elle est la plume dont il est l'apôtre, ce dard chargé d'encre salée. Trop tard le paragraphe a commencé.

Sur le quai Montebello je compte les péniches. Elles roulent sur les flots, transbalottant des grappes de touristes. Elles passent d'un pont à l'autre comme une course de haies, ça me met la tête à l'envers. Celui-ci est en pierre. Celui-ci est en fer. Je ne sais plus duquel tu as sauté. Pourtant elle ne paraît pas vilaine, mais coule la Seine et tu coules avec elle. Le flot des mots du poète a dû raisonner un instant sous les arcboutures. Le trop de tes maux a dû te raisonner un instant mais c'était trop dur.

Il y a eu des bruits. Mes oreilles ont reconnu des sons familiers qui jadis formaient des mots. Alors le cerveau a eu un regain de vitalité en associant le signifié au signifiant et la conscience a percuté. C'est fini. La situation est au passé. Décomposée. Vulgairement réduite à un pronom démonstratif notre histoire devient pestiférée. Verbe finir. Je n'ai même pas su qu'il y avait un jour où j'aurais dû commencer de finir.

A qui sont ces mots qui dansent entre mes synapses ? J'en connais beaucoup trop. La plupart sont employés par n'importe qui. Souvent pour n'importe quoi. Je voudrais qu'ils continuent leur ronde dans ma tête sans que personne ne leur vole leur sens. Il n'y a rien de plus violent qu'un mot malmené. Je veux que les mots soient libres de venir former chez moi des chorégraphies uniques. Je veux les voir faire des figures improbables. Je veux des pleins gonflés de discours et des déliés creusés par la justesse. Je veux entendre des sons surprenants et des larsens harmoniques. Je veux écouter des assonances râpeuses cogner les emplois attendus. A moi les nouveaux styles sur ta figure. J'entre dans le monde parallèle des mots. Là où ta langue a essuyé le superflux.

Je redeviens dyslexique. Le langage recommence de me poser problème. Je le trouve ridicule de tant de sens indéchiffrables. Un mot est un mot. J'ai beau chercher des excuses pour te dire ce que je ne sais pas dire, la vérité est que je ne sais plus comment le dire. Pourquoi ne puis-je pas prendre le dictionnaire et y trouver ce que je cherche ? Les difinitions m'asphyxient de leurs sciences physiques. Ce mot là ce marie avec cette règle là. Mais où sont ceux qui me traduiront ? Les italiques me filent la nausée et les abréviations un putain de goût d'inachevé. J'exige un dictionnaire subjectif. Si je ne peux plus l'ouvrir en sachant qu'il va m'offrir un placebo je perds mon seul allié. J'ai besoin qu'il me dise que ce mal est commun. J'ai besoin d'entendre un exemple qui me colle à la perfection. Au lieu de ça je lis quoi ? Je regarde et je ne vois rien d'autre qu'une suite de mots bien ordonnés, à la queue leuleu chacun sa bonne place et surtout pas d'émules. Tant de fois j'ai caressé tes doux feuillés et autant de fois été touchée par tes secrets. Mais dans ces moments je te voudrais corné et chiffoné, la couverture autrefois charnue enfin décousue et que tu sois mis à nu. Pourquoi ne peux-tu plus m'aider ? J'ai essayé de t'apprendre par coeur. Je suis venue te confier mes incertitudes. Je t'ai écouté pendant des heures et tu es devenu mon habitude.

Et ce fut Mururoa. L'expérience de la bombe atomique. L'explosion du coeur de l'atome. L'éblouissement surréel. La décomposition de la matière et sa lévitation. Le champignon. Complètement halluciant. Tandis que la réaction fascinante agissait je recueillais les gouttes chaudes de ta radioactivité.